Au long des articles, D’UN UNIVERS L’AUTRE a beaucoup évoqué les sens de la vue, de l’ouïe, du toucher, du goût et moins celui de l’odorat. Il est temps d’y remédier surtout que c’est un sens qui l’anime et l’inspire tout particulièrement. L’olfaction est intimement liée à notre histoire et à nos modes de vie. Les odeurs nous caractérisent, nous enveloppent, nous troublent, nous font voyager, nous ouvrent ou rouvrent des portes, celles du temps, des lieux, des personnes, de la mémoire… Une myriade d’univers à découvrir.
Dans son article paru le 5 février dans la revue Arthebdomedia.com, Marie-Laure Desjardins évoque « De l’odeur de l’argent voulue par Sophie Calle à celle du vide souhaitée par Dane Mitchell, des murs en purée de carottes signés Michel Blazy aux dessins olfactifs de Julie C. Fortier, des « Osmoboxes » d’Eduardo Kac aux installations odorantes d’Ernesto Neto, les fragrances se répandent dans les lieux d’art contemporain. Respirer l’art, renifler une œuvre, avoir le droit de mettre son nez partout sans se soucier des conventions, voici ce qu’une poignée d’artistes proposent aujourd’hui. Grâce à ce sens en prise directe avec nos émotions et nos souvenirs, les créateurs poursuivent une réflexion sur le quotidien et le réel, mais aussi tentent une approche synesthésique de la création. Dans tous les cas, ils élargissent leur périmètre de recherche et d’intervention. C’est tout un nouveau monde qui s’offre à eux et à nous« . Je vous suggère de lire son article « L’odeur encensée », très intéressant : ici
(Crédit photos Aurélien Mole, Julie C. Fortier)
Art-visuel olfactif : Julie C. Fortier
Depuis ses débuts en vidéo et performance, son travail enregistre le passage du temps à travers la mise en évidence de processus d’effacement et d’évidement. Les recherches, qu’elle entreprend dans la réalité, font l’expérience de la déperdition (perte de temps, perte d’énergie, improductivité, boucle, effacement etc.) et d’espaces lacunaires dans lesquels celle-ci peut se manifester (écran blanc, espace vide, trou de mémoire).
Depuis 2012, elle a ajouté à son répertoire, une recherche expérimentale avec les odeurs et les arômes. Leur puissance mnésique et affective modifie les manières de mettre en jeu la mémoire dans les représentations et les récits qu’elle compose.
Ce qui l’intéresse, c’est de reconfigurer la perception que nous pouvons avoir d’un espace donné et de provoquer des renversements de perception dans sa représentation, une rupture entre l’expérience présente et sa représentation passée. Les odeurs sont pour elle le matériau idéal pour poursuivre plus en avant son travail sur la construction des images en relation avec un souvenir et sa mise en récit.
- La Chasse (était présentée à Lille dans l’exposition « Tu dois changer ta vie »)
Installation olfactive in situ 92 000 touches à parfum, 3 parfums 900 x 450 cm
Cette installation propose de recouvrir un mur avec des touches à parfum de manière à recréer une prairie ou une fourrure. Trois zones très denses à hauteur de nez sont ménagées pour recevoir trois odeurs différentes. La première est la reconstitution d’une odeur d’herbe fraîchement coupée, la seconde est une odeur qui rappelle le pelage chaud d’un animal et la dernière est la reconstitution de l’odeur du sang. Les trois odeurs font basculer la perception et l’interprétation du paysage abstrait créé par les touches.
- Wildscreens
Série de « dessins » olfactifs. Chaque dessin se présente comme une feuille de papier blanc buvard imbibé de plusieurs parfums encadrée dans une boîte en plexiglass dont la porte est coulissante. L’ouverture de la porte permet de sentir les parfums. Un court texte autobiographique relatant un souvenir olfactif précis d’un arbre est sérigraphié sur la porte.
En savoir plus sur l’artiste et ses oeuvres : ici
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Théâtre-olfactif : Les Parfums de l’âme – Violaine de Carné
Les odeurs peuvent-elles ressusciter le passé ?
Voilà la question posée tout au long de la pièce de la compagnie Le T.I.R et la Lyre qui met en scène Les Parfums de l’âme. Violaine de Carné en est l’auteur et le metteur en scène. Les 7 acteurs sont Jean Bédiébé, Evelyne Fagnen, Emmanuel Strauss, Philippe Leroy, Armelle Abibou, Sophie Torresi, Garance Legrou et Luang Phinith Bousny.
Violaine de Carné : « Les Parfums de l’âme est le fruit d’un long travail de recherche artistique mené depuis 2003 sur le sens de l’odorat. L’ambition de cette fiction est de plonger le spectateur dans le monde fascinant des odeurs. Ces dernières questionnent notre relation à l’intime, notre subjectivité, mais aussi notre rapport à l’altérité et à nos origines. La pièce est une exploration du sens de l’odorat autant qu’une réflexion sur la question de l’identité. Le spectacle sera accompagné d’une diffusion d’odeurs dans la salle. C’est la proposition d’un théâtre qui sollicite un sens nouveau, autre que la vue et l’ouïe. Car introduire les odeurs au théâtre, c’est bousculer les conventions : l’odeur ne représente pas, elle est. »
Dès les premiers instants, on se laisse emporter dans un autre univers. En effet, l’intrigue se déroule dans un avenir peut-être pas si lointain…On est dans la salle d’attente high-tech d’un mystérieux institut. On assiste à un défilé de personnages qui viennent, chacun à leur tour, nous présenter leur histoire. Ils ont tous en commun d’avoir subi la perte d’un proche : Gabriel a perdu son père, Sophie et Serge, leur mère, Alma, son enfant et de son mari, Mélissa, son grand-père et Takumi, son grand amour, Ophélie. Les uns ont été séparés de l’être aimé par la mort, d’autres l’ont perdu de vue. Tous ces inconnus se retrouvent donc dans la salle d’attente de cet institut spécialisé dans la restitution des odeurs corporelles des personnes défuntes ou disparues. Plus l’action progresse, plus le spectateur s’attache aux personnages et est amené à se poser plusieurs questions : la restitution des odeurs est-elle une forme de résurrection ? Ce procédé permet-il de retrouver les chers disparus ? Est-ce un progrès ou au contraire une expérience dangereuse ? Vouloir à tout prix réveiller les souvenirs de la personne que l’on a perdue, n’est-ce pas refuser de faire son deuil, de tourner la page ? Le dénouement inattendu laisse plusieurs questions en suspens, comme pour mieux laisser libre champ à l’imagination du spectateur.
Un long travail de recherche a été réalisé sur comment diffuser les odeurs et les faire parvenir, par touches délicates et fugitives aux spectateurs.
Interview de 32′ à propos de son approche artistique, de la compagnie de théâtre Le T.Y.R. et La Lyre, de la pièce, de la réaction du public lorsqu’ils ont vu et senti la pièce : ici
Egalement à lire pour compléter : le communiqué de présentation de la pièce, résumé, note de mise en scène, projet, notes de scénographie) : ici
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Le FILM : L’Odorat réalisé par Kim NGuyen (sorti le 10 février 2016)
Une image en dit parfois plus que mille mots. Et une odeur, raconte-t-elle plus qu’un film ? À partir du mercredi 10 février, vous pouvez tenter l’expérience.
« On voulait offrir aux spectateurs de retrouver un peu ce sens qu’on a oublié dans notre monde moderne. Une expérience où l’on découvre l’importance de l’odorat dans notre vie de tous les jours », explique Kim Nguyen. Le réalisateur canadien de L’Odorat, très marqué par le livre culte Le Parfum de Patrick Süskind, nous propose un voyage cinématographique exceptionnel dans l’empire du sens olfactif.
Un merveilleux voyage au pays des senteurs : des truffes italiennes, au safran marocain, en passant par la création audacieuse d’un parfumeur allemand, la recherche du mystérieux ambre gris sur une plage, ou encore la poésie des épices racontée par le chef breton Olivier Roellinger.
Un merveilleux voyage au pays des émotions : le témoignage d’une journaliste à propos de sa perte accidentelle de l’odorat, le langage amoureux entre des fleurs, la sensualité amoureuse, et finalement une scène très émouvante avec une patiente de Patty Canac (olfactothérapeute).
Un merveilleux voyage au pays des experts de l’odorat : de la gastronomie avec François Chartier et son ouvrage Papilles et molécules (2010), des recherches scientifiques sur l’olfaction et les émotions avec Rachel Herz, des subtilités du thé avec une maître de cérémonie de ce subtil breuvage, et de la théorie controversée de Luca Turin expliquée par le romancier Chandler Burr.
La projection inaugurale était agrémentée d’odeurs composées par les talentueux parfumeurs de la société IFF. La diffusion des odeurs était assurée par l’équipe de Scentys. Opération délicate s’il en est, et surtout nouvelle… Au regard de la technique du cinéma qui remonte à la fin du XIXème siècle, la technique de diffusion d’odeur est encore à ses débuts et à manier avec mesure et délicatesse.
Tout sur le film, y compris bande-annonce : ici
Une chose est sûre : Les odeurs et leurs univers ont de beaux jours devant eux pour nous griser, nous faire tourner la tête et nous mener par le bout du nez. Je vous souhaite de faire et de vivre de belles découvertes olfactives.